L’écrivain britannique Tim Harford révèle volontiers les aspects économiques cachés dans les expériences quotidiennes, non sans se demander si les bonnes idées en théorie fonctionnent dans la pratique. Dans sa chronique « L’économiste sous couverture », qui paraît tous les samedis dans le Financial Times, il scrute les situations courantes d’un oeil non conventionnel afin d’expliquer les principes fondamentaux de l’économie moderne. À la BBC, il présente également la série radiophonique « Plus ou moins », un programme dédié, comme il le dit lui-même, « à l’univers des nombres, un univers puissant, parfois beau, souvent malmené, mais toujours omniprésent ». Son nouveau livre, The Magic of Mess (La Magie du désordre), qui traite d’improvisation et d’innovation, sera publié début 2016.
« Il existe bel et bien […] des super-prévisionnistes fiables. » Leur point commun ? « Une ouverture d’esprit appliquée à un mode de pensée actif ».
Quand Tim Harford en vient à parler d’avenir et expliquer comment l’anticiper de manière adéquate, il cite d’emblée ses deux économistes préférés : Irving Fischer et John Maynard Keynes. « Tous deux ont en commun d’avoir élaboré des théories censées leur permettre de faire de l’argent en tant qu’investisseurs, expliquait Tim Harford lors du 7e Forum de la Haute Horlogerie, qui s’est déroulé le 18 novembre à Lausanne. Irving Fischer, dont les recherches ont notamment porté sur l’inflation et qui faisait preuve d’une confiance inébranlable dans les actions cotées en Bourse, était admiré de partout et ses analyses recherchées par l’ensemble de la communauté financière. Quant à John Maynard Keynes, c’est en insider qu’il a d’abord monté un fonds d’investissement basé sur les changes pour ensuite prendre en charge celui de Cambridge, dont le modus operandi répondait à ses prévisions des cycles économiques. Nous avons donc deux économistes renommés qui, à leur époque, il y a près d’un siècle, se sont montrés de fins investisseurs. Seulement ni l’un ni l’autre n’a vu venir le krach de 1929 et la Grande Dépression qui a suivi, synonyme pour les deux de pertes abyssales dans leurs portefeuilles. »
Sur la base de ce constat historique, Tim Harford se demandait quelle valeur pouvaient donc avoir les prédictions faites sur l’avenir. Et pour ce faire, il s’est penché sur les travaux du sociologue Philip Tetlock, dont le dernier opus sorti en septembre dernier a précisément pour titre « Superforcasting: The Art and Science of Prediction ». « En 2005, Philip Tetlock avait déjà fait état des conclusions d’une première enquête sur les prédictions, enquête qui avait bien duré une dizaine d’années, commentait Tim Harford. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ses résultats n’étaient guère encourageants. En d’autres termes, si l’on veut avoir des prédictions fiables sur un problème complexe, autant aller au zoo et faire la demande au premier chimpanzé venu. Les prédictions sont comme les chips : tout le monde les aime, mais elles ne sont pas forcément bonnes pour notre organisme. ».
Philip Tetlock n’avait toutefois pas complètement perdu la foi. Il va donc reprendre la thématique pour mener une nouvelle étude sur une base plus large. Et cette fois, les résultats sont au rendez-vous : il existe bel et bien des personnes à même de faire de bonnes prédictions sur des sujets compliqués, des super-prévisionnistes fiables. « Mais qu’est-ce qui peut donc bien les distinguer ? poursuivait Tim Harford. Leurs études, leurs expériences, leur sexe, le fait qu’ils soient gauchers plutôt que droitiers ? Rien de tout cela évidemment, mais bien plutôt une attitude psychologique qui s’apparente à une ouverture d’esprit appliquée à un mode de pensée actif. Ces personnes n’hésitent ainsi pas à changer d’avis, à chercher la confrontation, à se remettre en question. Et si on les met ensemble, il s’avère que leurs prédictions sont encore meilleures. Non pas parfaites, ce qui est impossible, mais meilleures. »
Et Tim Harford de porter l’estocade en revenant à ses deux économistes. « Irving Fischer, qui s’est cramponné à ses certitudes basées sur une rationalité scientifique, s’est retrouvé ruiné et honni. Pratiquement personne ne se souvient de lui sauf pour le fait que peu avant le krach boursier de 1929 il avait affirmé que les Bourses avaient atteint un “niveau haut stable”. John Maynard Keynes, en revanche, a volontiers admis qu’il s’était trompé et que ses modèles ne fonctionnaient pas. Il n’a pas eu peur de changer d’avis et d’approche des marchés. En peu de temps, il a reconstitué la fortune du fonds. Sa vie s’est déroulée dans une relative opulence. Et il est aujourd’hui considéré comme l’un des plus éminents économistes du XXe siècle. » CQFD.
Cliquez sur la vidéo pour visionner l’interview de l’intervenant dans le cadre du Forum.
Découvrez les experts et personnalités attendues au Forum.